La Poubelle se
réveilla au crépuscule. Malgré les vêtements qu’il avait installés par-dessus les fenêtres, il faisait chaud dans la Mercedes. Sa gorge était râpeuse comme du papier de verre. Ses tempes tambourinaient. Il sortit la langue et, quand il la toucha du bout du doigt, il eut l’impression d’une branche morte. Il s’assit, voulut poser la main sur le volant, mais la retira aussitôt en poussant un petit cri de douleur. Il dut enrouler le bout de sa chemise autour de la poignée de la porte pour l’ouvrir. Il pensait poser le pied par terre et sortir, tout simplement, mais il avait surestimé ses forces et sous-estimé à quel point la déshydratation avait progressé au cours de cette soirée d’août : ses jambes cédèrent sous lui et il tomba sur la route, brûlante elle aussi. Gémissant, il rampa pour se mettre à l’ombre de la Mercedes, comme une couleuvre blessée. Et il resta là, assis haletant la tête sur les genoux, les bras ballants contemplant morbidement les deux corps qu’il avait sortis de la voiture, elle avec ses bracelets sur ses poignets rabougris, lui avec sa perruque blanche qui flottait au-dessus de son visage momifié de vieux singe.
Il fallait qu’il arrive à Cibola avant le lever du soleil. Sinon, il allait mourir… À quelques kilomètres du but !
L’homme noir ne pouvait être aussi cruel – non !
– Je vous donne ma vie, murmura La Poubelle.
Et, lorsque le soleil s’enfonça derrière la crête des montagnes, il se remit debout et commença à marcher vers les tours, les minarets et les avenues de Cibola où des étincelles de lumière éclataient à nouveau.
Quand monta la fraîcheur de la nuit du désert, il retrouva un peu de force. Ses baskets nouées avec des bouts de ficelle claquaient sur le bitume de la 15. Il avançait pesamment, la tête penchée comme une fleur fanée de tournesol, et il ne vit pas le grand panneau vert qui indiquait LAS VEGAS 45.
Il pensait au Kid. Le Kid aurait dû être avec lui maintenant. Ils auraient dû foncer tous les deux vers Cibola, les deux tuyaux d’échappement de la décapotable du Kid grondant dans la solitude du désert. Mais le Kid s’était montré indigne et La Poubelle était reparti seul dans les grandes solitudes.
Son pied se leva et retomba sur la chaussée.
– Ci-bola ! croassa-t-il.
Tam-tam boum !
Vers minuit, il s’écrasa au bord de la route et s’endormit d’un sommeil agité. La cité n’était plus très loin.
Il allait y arriver.
Il était sûr d’y arriver.